La liturgie, un chemin vers la Parole.

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Un entretien avec Agnès Von Kirchbach, pasteur de l’Église réformée d’Asnières - Bois Colombes.

Dernière modification écrite le lundi 6 octobre 2008

Est-il possible en catéchèse de parler de la liturgie ?
Les enfants peuvent-ils comprendre ses enjeux ?

II est vrai, parler de la liturgie n’est pas une tâche facile, mais je ne suis pas convaincue que les enfants ont plus de mal à comprendre que les adultes... Si nous, les catéchètes, nous sommes bien au clair par rapport à ce chemin curieux qu’est la partie liturgique de nos cultes, nous arriverons aussi à trouver des moyens adaptés aux enfants pour les faire entrer dans ce mouvement essentiel de la communauté.

La liturgie est une forme précise de la prière par son caractère structuré et communautaire. Elle se distingue aussi bien de la prière spontanée que de la prière personnelle. Mais comme toute prière, elle est traversée de part en part par cette certitude que prier ce n’est pas tant nous qui parlons à Dieu, mais Dieu qui nous parle.

Une réflexion concernant la liturgie en général et les différents éléments qui en font partie relève donc de plusieurs niveaux. Elle doit articuler les convictions essentielles de la foi avec la réalité humaine au sens anthropologique. Si nous avons très souvent l’impression de ne pas pouvoir parler de la liturgie, c’est parce que le déroulement liturgique possède une structure très complexe dont nous ignorons la signification. Pourtant son ordre n’a rien d’arbitraire, son agencement a été voulu et sa logique interne a été prévue comme chemin qui résiste le plus possible à l’usure du temps. Elle nous permet de faire ensemble mémoire et de Dieu et des autres. Pour cela la liturgie utilise un ordre structuré, connu d’avance par ceux qui viennent célébrer le culte. Cet ordre fonctionne sur le mode du rite.

Pour certains le mot rite exprime quelque chose de magique ou de mécanique. Or, votre manière d’en parler donne à l’ordre rituel une place importante ?

Le rite est un code pour mieux communiquer. Je donne un exemple : un rite important de notre société est la salutation, se dire bonjour par des mots et/ou par des gestes, ne serait-ce que le regard. Tous, nous sommes peinés quand une personne que nous aimons bien ne nous salue pas. Aussitôt, nous nous interrogeons : qu’est-ce que j’ai fait ? Pourquoi m’ignore-t-il ? Est-ce que je ne compte plus à ses yeux ? La non-salutation est ressentie comme un affront, elle bloque la communication dès le départ. La salutation suscite en nous la joie de connaître, mais aussi la joie d’avoir été reconnu.
Cet exemple nous montre que la répétition des mêmes paroles ou gestes est comme un seuil qui met la communication sur de bons rails. Personne de nous n’a inventé ce rite ; il est transpersonnel, il fait partie d’un codage culturel interne à un groupe.
Souvent, nous pensons qu’un rite nous aliène. Or le contraire est vrai : il libère en nous des forces vives auxquelles nous n’accédons pas par ailleurs. II ne relève pas du facultatif ; il n’est pas un surajouté mais il est une forme d’être sans laquelle la vie humaine n’existe pas.

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La liturgie est donc une mise en place pour une écoute et un échange fructueux. La partie liturgique qui se situe avant les lectures est assez longue par rapport au reste du culte. Sa structure est codée et constitue ainsi ce seuil dont nous avons besoin pour que se libère en nous la capacité d’écouter de manière inédite celui qui s’adresse à nous à travers les différentes médiations de la parole humaine.

Chaque élément liturgique possède-t-il sa propre signification, et si oui, laquelle ?

La liturgie, dans sa progression, nous donne la possibilité de laisser tomber les masques. Elle est faite d’une succession d’attitudes et de prières qui expriment les aspects de la vie de l’un devant l’autre : Dieu devant la communauté et la communauté devant Dieu.
L’accueil est le moment où nous disons : « Oui, je suis là ». Nous l’exprimons par les paroles et par le chant. Être là, cela veut dire, signifier par ma voix, le lieu où je me tiens. Mais chanter ensemble implique aussi d’entendre que mon voisin est également en même temps et au même moment que moi. Chanter ensemble, c’est se mettre au même rythme, c’est vouloir sortir de l’anonymat pour former une communauté. S’il n’y avait pas le chant, ce serait difficile pour la communauté d’arriver à une certaine conscience d’unité et une certaine capacité d’écoute commune. C’est le propre de la liturgie chrétienne que de transformer un amas de gens en un ensemble, un groupe structuré.
Par le chant, la communauté s’est adressée à quelqu’un qui est cru, même s’il n’est pas vu.
L’espace architectural vide devant l’assemblée indique de manière symbolique la possibilité de ce vis-à-vis qu’est Dieu. Mais puisque ce vide ne figure que la possibilité de sa présence et non pas sa réalité, il faut qu’une parole vienne donner sens à cet espace.
C’est pourquoi l’invocation de l’Esprit trouve sa place ici, car si Dieu ne se révèle pas présent par lui-même, nous resterons enfermés dans toutes sortes de représentations religieuses imaginaires.

La prochaine étape liturgique consiste à se laisser interroger sur la valeur que possède à nos yeux le fait d’être présent l’un à l’autre. Est-ce regrettable est-ce agréable ?

Le choix de se laisser entraîner dans un mouvement de louange exprime ainsi clairement la réponse donnée à cette question.
Cette louange veut nous préserver de tout narcissisme. Le regard narcissique, en effet, est incapable de concevoir la vie autrement qu’en cercles concentriques dont le centre est toujours et partout un moi qui se vante ou qui écrase, et qui réduit la présence de quelqu’un d’autre en spectateur de son destin pour l’inviter, tour à tour à le plaindre ou à l’exalter. La louange, au contraire, c’est la dépossession de soi au profit de l’autre, un étonnement et une jubilation de reconnaître que « l’arbre de la vie, plantée au milieu du jardin », ce n’est pas moi. Pourtant, il y pousse pour que moi je vive. Symboliquement parlant, la louange permet de bien nous situer dans une communication vraie où ma parole n’est pas un monologue en face de quelqu’un mais une ré-action provoquée par sa présence. A travers la louange, nous exprimons notre étonnement et notre gratitude de pouvoir nous situer les uns avec les autres dans nos différences tels que nous sommes.
Pourtant la louange ne doit pas aboutir à une fascination aliénante. C’est pourquoi la liturgie nous entraîne plus loin et nous oblige à revenir sur nous-mêmes. A travers des mots, notre coeur a cherché et trouvé Dieu, il s’est étonné de sa fidélité, mais la liturgie nous interdit aussi bien la fusion que la confusion avec celui qui reste le Tout Autre. Au contraire, le retour sur notre propre réalité nous oblige à exercer nos capacités critiques par rapport à nous-mêmes. La confession des péchés relève de ce discernement intérieur provoqué par le regard de Dieu que nous venons d’accueillir.

La confession des péchés, malgré le nombre de textes qui sont formulés en « je », est d’abord une attitude communautaire, une parole de la communauté. Le « je » est plus corporatif qu’individuel. Malheureusement, certains de ces textes qui circulent en ce moment sont mal appropriés pour ce moment liturgique parce qu’ils suggèrent soit une auto-inspection soit un faux sentiment d’auto-accusation voir de culpabilisation morale. Pourtant, avec ce que je viens de vivre comme étonnement de la fidélité de Dieu qui me convoque encore, qui me provoque, et que j’invoque, il n’est guère imaginable que le retour sur moi puisse être de l’ordre de l’écrasement. Confesser son péché ne signifie nullement proclamer une auto-condamnation suivi d’une auto-justification. Les Réformateurs nous ont bien mis en garde contre ces déviations, mais la tentation de l’auto-justification est comme une mauvaise herbe qui repousse très rapidement en nous et se développe sous des aspects les plus divers. Ce n’est pas parce qu’on connaît le piège qu’on l’évite, ce n’est pas parce que nous avons entendu parler de la] justification par grâce seule que nous sommes automatiquement capables d’en vivre...
Si la confession du péché n’était qu’une manière de dire avec un air triste : « Oui, je suis impossible, je ne vaux rien, mais je sais, mon Dieu, que tu m’aimes, donc tout va mieux », c’est du cirque. Non, la confession du péché, c’est d’abord reconnaître que je suis responsable - mais que justement je n’ai pas répondu... Au lieu des réponses, il y a des absences. Reconnaître mon péché revient à reconnaître mes manques. Or indiquer mes manques, c’est laisser sourdre mes désirs. Notre vie humaine ne vaut rien et notamment notre vie spirituelle ne vaut rien si elle ne s’inscrit pas dans ce mouvement où la reconnaissance des manquements s’ouvre en désir, en soif.

Ainsi se situer à l’emplacement même de la reconnaissance de notre péché constitue encore une chance.

Suit le moment liturgique appelé annonce du pardon. En effet, il ne faut pas oublier que nous nous situons dans un dialogue ; la parole revient à Dieu. Et nous nous entendons dire « D’accord, j’ai entendu ce que tu m’as dit par rapport à ton faire ou ton non-faire.
Mais tu m’intéresses plus, toi en ce que tu es et ce que tu pourrais devenir qu’en ce que tu fais « C’est à nouveau très décapant. On abaisse tous les masques et lâche tous les rôles. Ne reste que le moi rafraîchi par l’Esprit et le pardon, et habité par la Grâce. C’est à ce lieu qu’il faut parvenir avant d’entendre à nouveau les propositions concernant la manière de vivre cette alliance. Sinon, je n’en tends les Écritures qu’enfermé derrière mes masques, emprisonné dans mes différents rôles.
II n’y a aucune fraîcheur, aucune nouveauté possible sans le parcours que la liturgie nous propose de faire. Comme la Samaritaine nous devons faire tout un long itinéraire humain et spirituel pour pouvoir entendre le défi que Jésus lance à notre recherche. « Si tu savais le don de Dieu... » Quel déplacement !
C’est ce défi « Situ savais ce qui est déjà donné... » qui nous permet d’accueillir le pardon de Dieu comme sa réponse unique et extrêmement originale à la reconnaissance de notre incapacité de vivre efficacement de la puissance créatrice de l’Esprit Saint. Le pardon est le renversement de la logique linéaire entre cause et effet. II est un événement de rupture radicale ; ce qui dit de la manière la plus forte l’espérance de Dieu. II nous remet droit debout sur nos deux pieds, et les deux pieds bien sur terre.

C’est dans cette attitude-là que nous pouvons entendre comment Dieu de son côté s’imagine le chemin à parcourir ensemble avec lui et avec les autres.
Le rappel de la Loi n’est donc pas là pour nous écraser à nouveau ou nous culpabiliser à l’avance, mais comme cette proposition pleine d’enthousiasme et pleine de réalisme pour reprendre ensemble comme des maîtres-d’oeuvres cette construction, cette création commune qu’est le Royaume de Dieu. Dans la compréhension réformée, la Loi ne s’oppose pas à l’Évangile, mais au contraire, elle est, en Christ, la mise en forme, la pratique et l’actualisation dans la durée, de cet événement « Évangile ».

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Ce n’est qu’au bout de ces différentes étapes de la liturgie que se situe la prière appelée d’illumination qui fait la charnière entre le chemin déjà parcouru et l’étape suivante constituée par la lecture de plusieurs textes bibliques et la prédication. Cette prière a notamment la fonction d’exprimer notre désir de devenir capable d’entendre, à travers des mots humains, la Parole de Dieu. Et, bien sûr, en exprimant ce désir nous prenons conscience à nouveau, que cette parole de Dieu ne nous est pas immédiatement disponible ; qu’il ne suffit pas que les oreilles entendent certains sons mais qu’il s’agit d’une affaire de coeur, de discernement et de cette confiance qui engage et qu’on appelle foi...

Après la prédication, nous retrouvons à nouveau des éléments liturgiquement prévus : la confession de foi, l’offrande, l’intercession et l’envoi avec la bénédiction. Pouvez-vous nous en parler aussi ?

Prenons d’abord la confession de foi. Elle se situe un peu comme un contrepoids à la prédication.
En effet, celle-ci a essayé de comprendre ou d’approfondir un ou deux aspects de ce chemin d’aventure avec un Dieu franchement impossible à contenir dan notre logique, alors que la confession de foi essaie de récapituler globalement et en peu de mots, les traits essentiels de cette foi.
Alors que le prédicateur parle seul, la confession de foi devrait être proclamée par l’ensemble de la communauté - ce qui actuellement ne se fait que rarement, beaucoup préférant des formulations toujours nouvelles, quitte à ne pas pouvoir les dire en commun.

L’offrande constitue un autre moment liturgique important. Même dans les Églises où la majeure partie des moyens financiers n’est pas collectée à l’intérieur d’un culte, cet élément liturgique n’a jamais été supprimé. La raison, me semble-t-il, est la suivante : c’est pour signifier que nous avons compris que le Dieu biblique ne nous invite pas tellement à la consommation religieuse, mais à nous donner avec ce que nous sommes et avec ce que nous avons - humainement, spirituellement et matériellement - pour construire concrètement un mode de fonctionnement social, culturel, économique qui s’oppose aux mécanismes de l’exclusion. Pour nous arracher à l’idée, à l’idole d’un Dieu de luxe qui donnerait non pas de sa vie mais juste de son superflu, nous sommes invités à notre tour non pas tant à donner de notre superflu mais de notre essentiel. La manière de nous situer nous-mêmes à travers l’offrande exprime à nouveau de quel Dieu nous voulons être solidaires.

Est-il opportun d’inviter les enfants à l’intercession ? Est-ce que cela ne renforcerait pas, dans leur univers encore un peu magique, l’idée d’un Dieu magique ?

Assurément, il faut faire attention, mais c’est seulement en parlant avec eux de ces questions qu’ils apprendront que l’intercession n’est pas une déresponsabilisation des humains, du style : « Dieu n’a qu’à... ». La prière qui s’étend aux horizons du monde n’est pas là pour cautionner la tentation de la dérobade ou de la démission, mais elle s’inscrit dans la prise de conscience que le vrai promoteur de la solidarité universelle est Dieu lui-même.
Son intérêt se porte à tous dans leur singularité précise, et c’est lui, le premier, qui nous parle de ceux qui sont au loin. Puisqu’à travers le culte je suis à nouveau « branché » sur son projet à lui, il est normal que je lui parle de ceux qui, grâce à lui, me sont devenus proches et sujets de préoccupation, de souffrance ou encore signes d’espérance et de joie. Déposer devant Dieu tout ce que nous ressentons au contact de situations concrètes vécues par des personnes qui sont autour de nous, même si géographiquement ou culturellement parlant elles sont éloignées, nous rappelle que Dieu peut faire advenir la vie loin du regard qui observe et qui ne reconnaît que les pourtours de la mort. Mais déposer en Dieu tout ce que nous ressentons libère aussi en nous des forces vives pour devenir inventifs et apporter notre part au changement des situations intolérables.

Avec cette dernière étape, nous arrivons à la fin du culte. Mais tout comme il a fallu la salutation réciproque au début du culte pour communiquer pleinement et librement, il nous faut un autre seuil pour ressortir vers le quotidien sans que cela soit ni une fuite, ni un acte de reconduite involontaire aux frontières, ni une fin parce qu’on aurait plus rien à nous dire.

L’envoi et la bénédiction nous rassurent : le quotidien n’est pas athée, sans Dieu ; au contraire, il nous y attend, il nous précède. Mais le quotidien est aussi ce lieu où il nous appartient de construire à travers nous-mêmes un monde plus juste. Le cheminement liturgique à travers le culte trouve son prolongement à travers les multiples facettes de la vie quotidienne.

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