La folie de la Croix, Elian Cuvillier

Une méditation sur 1 Corinthiens 1, 18-31
Dernière modification écrite le mardi 9 janvier 2007

La folie de la croix Méditation sur 1 Corinthiens 1:18-31 Elian Cuvillier - IPT Montpellier

An 54 de notre ère. Corinthe, ville dynamique et florissante de la province d’Achaïe en Grèce. Ville dont l’essor économique est bâti sur la stabilité politique assurée par l’Empire romain, la Pax Romana. Ville de contrastes où se côtoient riches et pauvres, puissants et misérables, hommes libres et esclaves. Ville aussi, où à côté des religions traditionnelles sur le déclin, foisonnent une multitude de mouvements religieux qui attestent de la quête spirituelle de ses habitants. Dans l’indifférence de cette ville en plein essor et bouillonnante d’activité, une poignée de corinthiens se réunissent autour de ce qui semble n’être qu’une secte de plus, émanation incontrôlée du Judaïsme. Ils sont là, rassemblés chez l’un des responsables, un des rares notables du groupe, seul capable d’accueillir chez lui l’ensemble des " frères " comme ils se nomment. À coté de ces quelques notables, la majorité du groupe est composée de femmes, de gens modestes, certes citoyens libres mais sans aucune richesse ni influence, et aussi d’esclaves. Certains sont là parce que le maître de maison, le Pater familias, en a décidé ainsi. Pour beaucoup de femmes, de jeunes enfants et d’esclaves, la religion du chef de famille est en effet la leur. Un point c’est tout. Après tout, celle-là n’est pour eux, pas plus gênante qu’une autre, c’est même plutôt le contraire. Au nom d’un certain Jésus qui les rassemble, en effet, il est question de se reconnaître comme " frère ", de respecter le " frère ", de considérer le " frère " comme " supérieur à soi-même ". Le monde à l’envers en quelque sorte, en tous les cas le temps du rassemblement hebdomadaire. Encore que parfois, durant les repas " fraternels " qui suivent les célébrations, certaines tables soient plus remplies que d’autres. Certains sont ici par choix personnel. Ce sont des " inquiets " de Dieu. Et dans la société de l’époque, ils sont nombreux. En effet, fini le temps du panthéon, des dieux multiples qui se disputent à la manière des humains et qui jouent avec eux comme avec des pions. Tout le monde, ou presque, est à peu près convaincu que Dieu est unique. Zeus, Jupiter, YahvéŠ peu importe, au fond, le nom qu’on lui donne. La question est : Comment se rapprocher de lui, comment lui plaire pour qu’il nous protège. Il y a ceux qui prônent des rites susceptibles d’apaiser la colère d’un Dieu qui ne se satisfait pas de voir les hommes tels qu’ils sont. Un Dieu qui exige deux un certain nombre d’actes religieux, de " sacrifices ". C’est courant à l’époque. Il y a ceux, les juifs, qui pensent que Dieu s’est choisi un peuple et qu’il s’agit donc de rester fidèle à cette alliance qui sépare les élus du reste du monde pécheur et impur. Il y a ceux qui pensent que Dieu se donne à connaître dans la sagesse, la réflexion philosophiqueŠ Pour d’autres, dans l’extase mystique, les expériences religieuses plus ou moins excessives. Et puis il y a ceux qu’on commence à peine à appeler les " chrétiens " et qui eux, affirment que Dieu s’est désormais donné à connaître dans la personne d’un homme, d’un juif, Jésus. Les quelques personnes rassemblées ce jour à Corinthe, appartiennent à cette catégorie. On la dit, ils ne sont pas tous là pour les mêmes raisons, et il n’est pas certain qu’ils aient bien mesuré tout ce qu’implique cette " foi " nouvelle en Jésus. Peut-être d’ailleurs ont-ils en commun avec leurs contemporains, certaines des convictions sur Dieu que nous venons d’évoquer : sacrifices, élection, sagesse philosophique, expériences mystiques peuvent peut-être s’accommoder de la foi en ce Jésus ? Et c’est sans doute un des motifs de la lettre qu’un certain Paul leur a envoyé que de préciser ce que signifie " croire en Jésus comme Dieu ". Une lettre qui va être lue publiquement au cours de leur rassemblement hebdomadaire. Paul est le fondateur de cette communauté hétéroclite. Il était anciennement pharisien, groupe juif radical, et maintenant il parcourt la région pour le compte de ce Jésus, au nom duquel se rassemblent ces " chrétiens " de Corinthe. De lavis de Paul, ce Jésus est l’envoyé de Dieu, ressuscité après avoir subi le supplice de la crucifixion. Mais, de lavis de ceux qui, sans appartenir à ce groupuscule nouveau, connaissent un peu l’affaire, Jésus est tout simplement agitateur politico-religieux fort justement condamné à mort il y a une vingtaine d’année à Jérusalem.

La mort de Jésus. La mort de Jésus par crucifixion. Tel est bien le thème central qui occupe Paul, dès le début de sa lettre :

" 1/18 La parole de la croix, en effet, est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui sont en train d’être sauvés, pour nous, elle est puissance de Dieu. 19 Car il est écrit : Je détruirai la sagesse des sages et j’anéantirai l’intelligence des intelligents. 20 Où est le sage ? Où est le docteur de la Loi (i.e. théologien) ? Où est le raisonneur de ce siècle ? Dieu na-t-il pas rendue folle la sagesse du monde ? 21 En effet, puisque le monde, par le moyen de la sagesse, na pas connu Dieu dans la sagesse de Dieu, c’est par la folie de la prédication que Dieu a jugé bon de sauver ceux qui croient. 22 Les Juifs demandent des signes et les Grecs recherchent la sagesse ; 23 mais nous, nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens, 24 mais pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs, il est Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. 25 Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes. "

Discours étrange. Que peut-il bien signifier ? Pour essayer de le savoir, il faut interpréter les propos de Paul en lien avec la situation de la communauté chrétienne de Corinthe, telle que nous avons tenté de la décrire.

Paul essaie de faire comprendre quelque chose d’essentiel à ses auditeurs. Paul essaie de leur faire comprendre que ce qui les rassemble va beaucoup plus loin qu’ils ne le pensaient. Que c’est une véritable révolution, dans l’ordre religieux, qu’ils sont en train de vivre. Au nom de quoi ? Au nom de ce qu’il appelle la " parole de la croix ". Car, pour Paul, la croix parle. La croix, c’est-à-dire le fait historique qu’un certain Jésus de Nazareth ait été mis à mort sur une croix (la chaise électrique de l’époque), voilà quelque chose qui parle. Quelque chose qui a du sens et qui constitue le sujet de la prédication chrétienne. Le fait de se rassembler au nom d’un crucifié dont on affirme qu’il est " Seigneur ", c’est-à-dire, " Dieu ", cela dit quelque chose, cela signifie quelque chose de proprement révolutionnaire. Et qu’est-ce que cela proclame de révolutionnaire ? Que Dieu n’est pas là où on le cherche habituellement. Que Dieu est où on ne l’attend pas. Que Dieu est dans ce qui est le contraire de Dieu. Pour un citoyen de Corinthe, et plus largement, pour un homme vivant au premier siècle, Dieu est puissance, grandeur, force, magnificence, sagesse, immortalité, éternité. Tout ce que l’homme aimerait être ou posséderŠ et qu’il n’est pas ou na pas ! Et Paul, dans ce contexte religieux, affirme que ce qui rassemble les chrétiens de Corinthe, c’est Dieu, certes, mais Dieu qui se donne à connaître dans tout ce qui est le contraire de Dieu : la mort d’un crucifié. L’échec le plus total. Pas même la mort du héros sur le champ de bataille. Non ! La mort du malpropre, du criminel, de celui dont la vie est ratée. Une véritable folie du point de vue des grecs. Pour eux, Dieu se donne à connaître dans la sagesse et la philosophie. Un scandale pour les juifs. Pour eux, Dieu donne des signes visibles et puissants de ses interventions dans l’histoire de son peuple, et si Jésus était bien l’envoyé de Dieu, il n’aurait certes pas terminé ainsi !

Du point de vue de Paul, cela signifie que le Dieu de Jésus n’est pas seulement solidaire de l’existence misérable des chrétiens de Corinthe. Il fait de cette existence même une parabole de la puissance surprenante et paradoxale de l’Évangile. Écoutons encore Paul, poursuivre son raisonnement :

" 1/26 Considérez, frères, qui vous êtes, vous qui avez reçu l’appel de Dieu : il n’y a parmi vous ni beaucoup de sages aux yeux des hommes, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de gens de bonne famille. 27 Mais ce qui est folie dans le monde, Dieu la choisi pour confondre les sages ; ce qui est faible dans le monde, Dieu la choisi pour confondre ce qui est fort ; 28 ce qui dans le monde est vil et méprisé, ce qui n’est pas, Dieu la choisi pour réduire à rien ce qui est, 29 afin qu’aucune créature ne puisse s’enorgueillir devant Dieu. 30 C’est par Lui que vous êtes dans le Christ Jésus, qui est devenu pour nous sagesse venant de Dieu, justice, sanctification et délivrance 31 afin, comme dit l’Écriture, que celui qui s’enorgueillit, s’enorgueillisse dans le Seigneur. "

Ce rassemblement hétéroclite de Corinthe, cette communauté sans influence et, à vues humaines, sans avenir, est une parabole de l’Évangile. À travers ce quelle est ou plus exactement à travers ce que sont (ou ne sont pas) les membres qui la composent, cette communauté manifeste la force, la puissance et le salut de Dieu pour le monde. À travers leurs faiblesses, leurs erreurs ou leur condition sociale insignifiante, autant de choses qui les rendent méprisables, les Corinthiens témoignent de la vérité paradoxale de l’Évangile ! Ce paradoxe trouve sa source dans la parole de la croix, la folie de la croix, qui affirme la Seigneurie d’un Dieu crucifié, la seigneurie d’un Messie mourant et faible. Ce paradoxe prend sa pleine signification dans la situation concrète de l’église de Corinthe. Cette communauté est une manifestation vivante de la grâce de Dieu. Une preuve du geste d’amour fou de Dieu qui appelle l’homme par delà ses infidélités, manifestant sa puissance de salut à travers l’existence chaotique, hésitante et méprisable dune communauté d’hommes et de femmes graciés. Car cette église de Corinthe est son église, choisie par lui, aimée de lui ; elle ne lest pas, insistons sur ce fait, à cause de ses capacités, de sa force, de sa croissance ou de sa vitalité, elle lest pas la grâce d’un appel.

Tout cela, Paul ne la cependant pas déduit dune réflexion intellectuelle et théorique. Paul na pas élaboré un système politique visant au renversement des puissants. Non. Cette conviction, Paul la reçoit d’un événement qui la convoqué, un événement qui a fait rupture dans son existence. Quelque chose de fondamental s’est passé qui la bouleversé et irrémédiablement mis debout comme témoin, sujet dune parole. Pour Paul, c’est la découverte de ce que Dieu se donne à connaître dans la mort du Christ. Un anti-événement dans l’ordre de ce monde : la crucifixion de Jésus de Nazareth, signe d’échec et de malédiction. Cet événement, Paul le reçoit comme une convocation à s’élever contre la logique du monde dans lequel il vit. Et, tout d’abord, contre sa propre logique religieuse, celle du pharisien convaincu d’être différent et séparé du reste des hommes pécheurs parce que connaissant le seul véritable Dieu, le Dieu unique et puissant d’Israël. Pour Paul, l’événement de la croix fait advenir " autre chose " que la situation, que les opinions, que les convictions, que les savoirs antérieurs. L’événement de la croix conteste la situation antérieure autour de quoi s’organise la société romaine et les religions. Il fait advenir une autre réalité selon laquelle les logiques en place sont contestées. Dans une société où l’être humain n’existe que par la place qu’il occupe (homme libre vs esclave, juif vs païen, romain vs barbare, homme vs femme) la parole folle de la croix proclame que, en Christ, il n’y a plus de différences disqualifiantes entre les personnes. Que l’individu, quel qu’il soit, est aimé et reconnu indépendamment de ses fonctions, qualités objectives ou héritages. En conséquence de quoi, croire que l’homme existe par la place qu’il occupe dans la société, par son intelligence, par sa race, ses performances religieuse ou que sais-je encore, est une illusion mensongère.

Être fidèle à cet événement de la croix, pour Paul, c’est proclamer que la réalité de ce monde n’est pas le dernier mot. Que le slogan du monde auquel tous sont invités à adhérer n’est pas le bon. Et quel est ce slogan ? On pourrait le résumer ainsi : " Il y a ce qu’il y a ". Les choses que vous voyez sont la vérité : la puissance impériale, l’ordre impérial, la Pax Romana, l’organisation hiérarchisée du monde, les distinctions religieuses habituelles, les élaborations philosophiques. C’est ce qu’il y a. Et c’est bien ainsi. Pour Paul, être fidèle à la parole de la croix, qui a fait rupture dans sa vie, c’est proclamer exactement le contraire : " il y a ce qu’il n’y a pas ", à savoir que, contre toute apparence et contre le monde, le crucifié est Dieu, et il conteste le consensus existant. En conséquence de quoi, la réalité présente n’est que mensonge et illusion. À savoir la puissance romaine et sa volonté d’englober toute la réalité de l’existence humaine, cela est une tromperie. Le Dieu puissant qui veut qu’on l’apaise par des sacrifices. Le Dieu qui choisit un peuple est laisse les autres. Le Dieu qui se découvre dans la sagesse, la philosophie est un faux dieu. Le Dieu que l’on rejoint dans l’extase mystique ou les pratiques ascétiques est un faux dieu. Tout cela est une illusion En conséquence de quoi, Dieu ne se trouve plus dans la grandeur, la force, la PuissanceŠ mais dans la faiblesse et l’humilité du crucifié de Nazareth. En conséquence de quoi tout discours sur Dieu qui ne passe pas par la folie de la croix est un discours mensonger. En conséquence de quoi tous les dieux que se fabriquent les grecs et les juifs sont des idoles, projection de leurs besoins de puissance et d’immortalité. Ces dieux sont morts, ils sont des faux-dieux, ils ne faut plus leur faire confiance.

Ainsi, lorsque Paul proclame la parole de la croix, c’est-à-dire lorsqu’il proclame que Dieu se donne à connaître dans la croix de l’homme de Nazareth, il conteste les autres dieux. Proclamer un Dieu qui se donne à connaître dans la croix, c’est proclamer Dieu dans le " non dieu ". Un Dieu qui a pris le parti de l’homme jusque dans le plus ignoble, du côté de ses échecs, de ses peurs, de ses angoisses.

Quelle est l’actualité de cet événement en ce début siècle ? Qu’est-ce que cela a à nous dire aujourd’hui ? Pour tenter de le comprendre, partons dune question qui appartient, en apparence, au domaine religieux : qu’est-ce qu’un dieu ? À cette question, tentons cependant une réponse non religieuse : dieu, c’est simplement l’instance, quelle quelle soit, qui confère à l’homme son identité, qui le fait exister, qui lui donne sa valeur . " Ce à quoi tu attaches ton coeur et tu te fies est proprement ton dieu ", disait déjà Luther. Or, que disent les dieux, disons les idoles qui nous asservissent aujourd’hui ? Ils disent l’homme na de valeur que par ce qu’il fait, par sa réussite, son intelligence, sa sagesse, son pouvoir, la place qu’il occupe, la tribu à laquelle il appartient. Cela la parole de la croix le conteste. Elle dit un autre Dieu, celui du crucifié qui se dévoile dans la faiblesse assumée, la solidarité avec ce qui fait les failles de l’homme, ses interrogations anxieuses, ses échecs, ses peurs. La croix dit un Dieu qui n’est pas la projection de nos fantasmes ou de nos frustrations. Mais un Dieu qui se donne à connaître dans ce que fait notre quotidien le plus intime : l’angoisse de la mort. La parole de la croix conteste les dieux de ce monde. Ceux que nous ne cessons de nous forger, au premier rang desquels le Dieu du christianisme dès lors qu’il nous donne une supériorité sur les autres ou un savoir sur le monde. Mais aussi le Dieu pouvoir, réussite, pureté ethniqueŠ Il conteste mais rétablit dans l’instant même où il conteste, celui qui entend dans cette parole la vérité de sa vie, l’impasse dans laquelle il se trouve. Le salut est ainsi, et dans le même temps, une contestation de ma propre existence, toujours construite sur des illusions, et la bonne nouvelle que cette même existence est revendiquée et aimée par le Dieu de Jésus. La parole folle de la croix m’annonce aujourd’hui que le Dieu qui répond à tout (et qui n’est pas uniquement un Dieu religieux) est un faux dieu une illusion. Une illusion mensongère qui sépare les hommes entre savants et ignorants, élus et rejetés, purs et impurs, bons et mauvais. La parole folle de la croix annonce un Dieu qui me permet de vivre avec mes questions, mes manques, mes faiblesses. Un Dieu qui me laisse espérer que l’apaisement viendra d’ailleurs que de mes tentatives désespérées et trouver en moi-même ou dans ce monde un appui solide et durable. Celui-là est le Dieu de la croix : il me conteste dans mes propres illusions et, dans le même temps, fait de moi un être réconcilié avec lui-même et avec les autres. Ce que Paul appelle alors le " salut " résulte dune rencontre avec le crucifié qui change, avec ma compréhension de Dieu, la compréhension de mon existence, de mon regard sur les autres et sur le monde. Je suis aimé tel que je suisŠ et non pas pour ce que je réussis à montrer aux autres, au monde et à moi-même. Et ainsi, chacune et chacun de ceux qui m’entourent ont droit à ce même amour.

Nous sommes dans une société qui oscille entre un universalisme abstrait, uniformisant et réducteur et un communautarisme clos, une société fragmentée en de multiples communautés chacune revendiquant des droits particuliers. Entre l’illusion du village mondial et l’illusion des ghettos identitaires où chacun choisit sa tribu. Mais toujours reste la lancinante question qui taraude chacun des pions de ce jeu de société aux dimensions du monde que nous sommes : qu’est-ce que l’homme ? Qu’est-ce qui fait qu’un être humain est un sujet ? Notre société conduit à penser qu’un sujet est évaluable par ses propriétés objectives ou par ses appartenances. Elle me conduit à penser que ce qui fait de moi un sujet est dépendant dune classe sociale, dune race, dune histoire, dune généalogie, dune éducation, dune appartenance politique. Que l’essentiel est de porter une marque particulière, une marque qualificative qui atteste mon appartenance à un groupe, une société. Sans me rendre compte que je suis prisonnier d’un prêt à penser uniformisant, un "politically correct" qui me contraint à faire exactement comme tout le monde, alors même que je m’imagine être profondément original et particulier. A l’inverse l’événement de la croix conduit à proclamer que ce qui fait qu’un être humain est une personne, un sujet à la première personne du singulier ce ne sont pas ses qualités, ses appartenances, ses origines et ses loyautésŠ ses " petits " dieux. Qu’un être humain n’est pas reconnaissable par les marques qu’il se donne ou qu’on lui donne, qu’il ne se réduit pas à l’universel trompeur du village mondial et de ses ghettos identitaires. L’événement de la croix affirme que l’individu naît dune Parole qui le précède. Cette Parole le conteste dans ses certitudes et dans le même temps le réconcilie avec lui-même et le constitue comme sujet unique et aimé indépendamment de ses qualités, héritages ou propriétés. Cette Parole le revendique contre les pouvoirs/les dieux qui l’oppressent et voudraient en faire un numéro ou un pion. Cette Parole affirme que l’individu appartient à une famille dépassant les frontières, les communautarismes, les ghettos, les marqueurs d’identités. Que cette famille est constituée d’hommes, de femmes et d’enfants de toutes tribus, langues et nations qui ne vivent que de se reconnaître, dans le crucifié, frères et soeurs aimés de Dieu. Une communauté qui n’est pas le lieu où l’on se choisit, où l’on se retrouve par affinités, mais l’espace où chacun est appelé, appelé à vivre dune même dignité, sous le regard du Dieu de Jésus. Une communauté de vie ou chacun, reconnu comme sujet unique, se laisse creuser, travailler par une Parole bouleversante. Une Parole folle qui affirme, avec Dietrich Bonhoeffer, que, à la lumière de la croix, " les grandes choses sont petites, et que les petites sont grandes, que ce qui est exact est faux, et ce qui est faux exact, que ce qui est désespéré est riche de promesses, et que ce qui est plein d’espoir est contesté ". Une conviction que Paul n’aurait pas renié lui qui affirmait que " ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes ".

Elian Cuvillier pasteur et professeur à l’Institut Protestant de Théologie - Montpellier Mis en forme pour internet mai 2001


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